Japon: la prise en charge de la sénilité, un défi majeur pour un pays vieillissant

Reportage international

La sénilité des aînés, c'est un vrai sujet au Japon, le pays du monde qui compte le plus de seniors : près de 30 % des Japonais ont 65 ans ou plus. Chaque année, l'archipel déplore 3 000 accidents de la route causés par des conducteurs âgés ayant confondu les pédales de frein et d'accélérateur. Et puis, tous les ans, 19 000 aînés n'ayant plus toute leur tête se volatilisent, disparaissant dans la nature au gré de leurs pérégrinations. La plupart finissent par être retrouvés, mais 500 périssent à l'issue de ces divagations.

De notre correspondant au Japon,

Keiko, 69 ans, est caissière à mi-temps dans ce supermarché d'un centre-ville du Japon où elle est affectée à une caisse particulière, dénommée « caisse lente ». Ces caisses, que l'on voit de plus en plus dans les grands magasins japonais, sont dédiées aux personnes âgées fragilisées sur le plan cognitif et qui, dès lors, peinent à gérer les différentes pièces de monnaie, les nouveaux billets de banque, les paiements par carte ou par téléphone.

« Ma mission, c'est d'assister au maximum les clients, explique-t-elle. Les aider à bien ranger leurs achats dans leur sac. Par exemple : ne pas mettre les fruits ou les œufs en dessous des bouteilles d'eau, etc. » « À cette caisse, je peux prendre tout mon temps : personne ne me houspille, se réjouit cette usagère, qui salue une telle innovation. Cela me soulage et me déstresse beaucoup. »

Six millions de seniors japonais souffrent, non pas de sénilité, mais de troubles cognitifs légers qui, s'ils ne sont pas diagnostiqués à temps et bien pris en charge, dégénèrent souvent en maladie d'Alzheimer. Aussi, des ateliers de prévention dits « ludiques » sont-ils proposés aux aînés. Ce sont des petites séances de gymnastique en musique assorties de jeux d'adresse et de devinettes, qui permettent, dans la bonne humeur, de tester à la fois la coordination des mouvements, la concentration, la réactivité et la mémorisation.

Tous les mois, Yusuke, 63 ans, participe à un atelier de ce type : « Ma hantise, c'est de finir comme ma mère, qui est morte dans un dénuement mental terrible, ayant complètement perdu la raison à cause d'une maladie d'Alzheimer beaucoup trop tardivement diagnostiquée et prise en charge. Je m'en veux d'ailleurs énormément : si, à l'époque, j'avais été plus attentif à elle, sa fin de vie aurait été plus sereine. », regrette-t-elle.

Cet été – qui fut historiquement caniculaire – plus d'un millier de Japonais sont morts d'hyperthermie et parmi eux, figuraient bon nombre d'aînés en situation de déficit cognitif. Comme l'explique cet infirmier à domicile qui, chaque jour, visite une vingtaine de seniors fragilisés pour s'assurer qu'ils s'hydratent bien et utilisent leur climatiseur.

« J'apporte un petit thermomètre quand je visite mes patients, raconte-t-il. Tous les jours, je constate en entrant chez bon nombre d'entre eux qu'il fait terriblement chaud : 35°C, voire plus. Quand je leur montre le thermomètre, ils tombent des nues. Parce que les personnes en déficit cognitif aigu ne perçoivent plus leur propre température corporelle. Certains s'habillent même comme si on était en plein hiver ! Je leur explique bien qu'une telle chaleur, c'est dangereux, qu'ils doivent mettre la clim' et boire régulièrement, mais, beaucoup, dès que je suis parti, oublient mes conseils, voire ne se souviennent même plus que je suis venu. Cet été, deux de mes patients qui vivaient seuls sont décédés. »

Dans les quinze ans à venir, un senior japonais sur trois – et non plus un sur six, comme aujourd'hui – souffrira de sénilité ou de troubles cognitifs légers. La prise en charge de ces millions d'aînés fragiles nécessitera des moyens humains, médicaux et financiers considérables.

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